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A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche

samedi 11 septembre 2010, par Robert Paris

A propos de la philosophie du surhomme de Léon Trotsky en 1900

Ces derniers temps nos journaux et nos revues sont devenus incroyablement respectueux " en présence de la mort ". Il y a des littérateurs dont on n’exige et dont on n’attend rien, pour la simple raison qu’il n’y a rien à en tirer : il leur manque même une feuille de vigne pour cacher leur propre nudité quand c’est nécessaire. C’est avec raison que leurs louanges et leurs critiques peuvent nous laisser indifférents. Cadavres eux-mêmes, ils enterrent leurs cadavres.

Ce n’est pas d’eux qu’il s’agit, mais de ces hommes de lettres dont on peut espérer une attitude parfaitement saine face aux phénomènes littéraires et sociaux, même s’ils sont couverts du voile " conciliateur " de la mort.

Récemment la Russie a enterré G. A. Djanchiev [1] et V. S. Soloviov [2], et l’Europe W. Liebknecht [3] et F. Nietzsche. Bien sûr, ce serait tout à fait grossier de " piétiner un cadavre ", suivant l’expression de N. K. Mikhaïlovsky [3 bis] ; mais on montre peut-être plus de respect à celui qui a élaboré un système de pensée en le mettant à la place qui lui convient, conformément à sa physionomie littéraire et sociale, que par des louanges immodérées venant de ses ennemis. Il est peu probable que Liebknecht eût été satisfait des éloges des Moskovskye Viédomosti [4] ou des Novoié Vrémia [5], de même que Nietzsche n’aurait pas apprécié ceux du Vorwärts [6] ou, par exemple, de Rousskoié Bogatstvo [7]. Rappelons que le scandinave Kiland [8] affirme – et nous le croyons bien volontiers – que tous les éloges de la presse radicale ne lui procuraient pas autant de plaisir et de satisfaction morale que les injures venimeuses des journalistes réactionnaires.

S’il faut dire " du bien " des morts, ou n’en rien dire du tout, dans ce cas il est préférable d’observer un silence éloquent plutôt que d’obscurcir la signification sociale du disparu par un flot de louanges onctueuses dépourvues de sens. Nous pouvons et nous devons avoir une attitude impartiale envers les personnes de nos ennemis sociaux, en accordant – si cela se trouve – le tribut qui est dû à leur sincérité et à leurs diverses vertus individuelles. Mais un ennemi – qu’il soit sincère ou pas, vivant ou mort – reste un ennemi, en particulier un écrivain qui vit dans ses œuvres, même après sa mort. En nous taisant, nous commettons un crime social : " Ne pas s’opposer activement, a dit un célèbre penseur russe, c’est soutenir passivement. " On ne doit pas l’oublier, même devant la tragédie de la mort.

Ces réflexions nous ont incité à consacrer quelques mots au philosophe Frédéric Nietzsche, mort récemment, et en particulier aux aspects de sa doctrine qui concernent ses conceptions et ses jugements sur la société, ses sympathies et ses antipathies, sa critique sociale, et son idéal de société.

Pour beaucoup de gens la personnalité et la vie de Nietzsche expliquent sa philosophie. Etant un homme exceptionnel, il ne pouvait s’accommoder passivement de la situation où l’avait mis la maladie. Le retrait forcé de la vie publique devait le pousser à élaborer une théorie qui lui donnât non seulement la possibilité de vivre dans ces conditions, mais conférât un sens à cette vie. Le culte de la souffrance fut la conséquence de son mal. " Vous souhaitez anéantir la souffrance autant que possible, et nous, à ce qu’il semble, nous voulons l’agrandir, la faire plus forte qu’elle n’était... Le culte de la souffrance, de la grande souffrance, est-il possible que vous ignoriez que ce culte a conduit l’homme jusqu’aux plus hauts sommets [9] ? "

" Dans ces mots, dit Aloïs Riehl [10], on entend la voix d’un malade, qui a transformé la souffrance en moyen d’éducation de la volonté. "

Mais le culte de la souffrance n’est qu’une partie, et pas des plus caractéristiques, du système philosophique de Nietzsche, partie qui a été mise inconsidérément au premier plan par quelques critiques et exégètes de notre philosophe. L’axe social de son système (s’il est permis d’offenser les écrits de Nietzsche par un terme aussi vulgaire, aux yeux de leur auteur, que celui de " système ") est la reconnaissance du privilège accordé à quelques " élus " de jouir librement de tous les biens de l’existence : ces heureux élus sont dispensés non seulement du travail productif mais aussi du " travail " de domination. " A vous de croire et de servir, (Dienstbarkeit) ! – telle est la destinée qu’offre Zarathoustra dans sa société idéale aux mortels ordinaires, dont le nombre est trop grand " (den Vielzuvielen). Au-dessus d’eux se tient la caste (sic) des ordonnateurs, des gardiens de la loi, des défenseurs de l’ordre, des guerriers. Au sommet se trouve le roi " en tant qu’image la plus élevée du guerrier, du juge et du gardien de la loi ". Comparés aux " surhommes ", tous ceux-là sont des auxiliaires de service : ils s’emploient aux " tâches grossières de la domination ", ils servent à transmettre à la masse des esclaves " les volontés des législateurs ". Enfin, la caste la plus élevée est celle des " maîtres ", des " créateurs de valeurs ", des " législateurs ", des " surhommes ". Elle inspire l’activité de tout l’organisme social. Elle jouera sur terre le même rôle que Dieu, d’après la foi chrétienne, dans l’univers...

Ainsi, même le " travail " de direction incombe non aux êtres supérieurs, mais seulement aux plus élevés parmi les inférieurs. En ce qui concerne les " élus ", les " surhommes ", libérés de toutes obligations sociales et morales, ils mènent une vie pleine d’aventures, de bonheur et de joie. " Du moment que je vis, dit Nietzsche, je veux que la vie déborde, qu’elle soit en moi et hors de moi aussi prodigue, aussi luxuriante qu’il est possible. "

Il est question plus haut du culte de la souffrance, sous-entendu de la souffrance physique, qu’aucun dévouement des " esclaves " ne peut épargner au " surhomme ", le plus souvent. En ce qui concerne les souffrances liées aux dérèglements sociaux, les " surhommes ", bien entendu, doivent en être absolument libérés. S’il reste une tâche obligatoire pour le " surhomme " (et encore, seulement pour le surhomme im Werden – au cours du processus de son devenir), c’est celle du perfectionnement de soi-même, comprenant l’élimination soigneuse de tout ce qui peut rappeler la " pitié ". Le " surhomme " déchoit s’il se laisse dominer par des sentiments de pitié, de regret, de sympathie. D’après l’ancienne " table des valeurs ", la pitié est une vertu ; Nietzsche la considère comme la plus grande tentation et le danger le plus épouvantable. Le " dernier péché " de Zarathoustra, le plus effrayant des malheurs, c’est la pitié. S’il s’attendrit sur les malheureux, s’il est touché à la vue du chagrin, alors son destin est réglé : il est vaincu, son nom doit être rayé des listes de la caste des " maîtres ". " Partout, dit Zarathoustra, retentit la voix de ceux qui prêchent la mort, et la terre est pleine de ceux à qui il est indispensable de prêcher la mort – ou la "vie éternelle", – ajoute-t-il avec un franc cynisme –, cela m’est indifférent, pourvu qu’ils disparaissent (dahinfahren) plus vite. "

Avant d’en arriver à l’élaboration de son idéal positif, Nietzsche dut soumettre à la critique les normes sociales dominantes dans le domaine de l’Etat, du droit et surtout de la morale. Il jugea utile de " réexaminer toutes les valeurs ". En apparence, quel radicalisme sans limite, quelle audace de pensée renversante ! " Jusqu’à lui, dit Riehl, personne n’avait encore analysé les valeurs morales, personne n’avait critiqué les principes moraux. " L’opinion de Riehl n’est pas isolée, ce qui ne l’empêche pas, soit dit en passant, d’être parfaitement superficielle. Plus d’une fois l’humanité a ressenti le besoin d’une révision fondamentale de son éthique, et de nombreux penseurs ont accompli cette œuvre de façon plus radicale et plus profonde que F. Nietzsche. S’il y a quelque chose d’original dans son système, ce n’est pas le " réexamen " en soi, mais plutôt le point de vue qui est à son origine : la volonté de puissance, qui est à la base des aspirations, des exigences, des désirs du " surhomme " : Tel est le critère d’évaluation du passé, du présent, du futur. Mais même cela est d’une originalité douteuse. Nietzsche lui-même écrit que dans ses recherches sur les morales qui dominaient dans le passé et qui dominent actuellement, il a rencontré deux tendances fondamentales : la morale des maîtres et la morale des esclaves. La " morale des maîtres " sert de base à la conduite du " surhomme ". Ce double caractère de la morale parcourt en effet comme un fil rouge l’histoire de l’humanité, et ce n’est pas Nietzsche qui l’a découvert. " A vous de croire et de servir ", dit, comme nous l’avons rappelé, Zarathoustra, en s’adressant à ceux dont le nombre est trop grand. La caste supérieure est celle des " maîtres ", des " créateurs de valeurs ". Pour les maîtres, et pour eux seulement, a été créée la morale du surhomme. Quelle nouveauté, n’est-il pas vrai ! Même nos propriétaires du temps du servage, qui en savaient vraiment peu à ce sujet, savaient qu’il existe des gens qui ont du sang bleu et d’autres pas [11], et que ce qui est nécessaire aux uns est sévèrement condamnable chez les autres. Ainsi, ils savaient pertinemment, selon les propos du génial satiriste, " qu’il n’était pas convenable, pour un noble, de s’occuper du commerce, d’avoir un métier, de se moucher sans l’aide d’un mouchoir, etc., mais qu’il n’était pas inconvenant de jouer un village entier aux cartes ou d’échanger la jeune Arichka contre un chien de chasse ; qu’il ne convenait pas à un paysan de se raser la barbe, de boire du thé et de porter des bottes, mais qu’il n’était pas inconvenant de miser une centaine de verstes à pied sur une lettre de Matriona Ivanovna à Avdotia Vassilievna, dans laquelle Matriona Ivanovna souhaite une bonne fête à son amie et lui annonce que grâce à Dieu, elle se porte bien " (Satiry v prose) [11 bis]

L’un des critiques de Nietzsche les moins critiques reconnaît que, " si l’on enlève à ses pensées la forme paradoxale ou poétique dans laquelle elles se sont incarnées sous sa plume, elles sont souvent beaucoup moins nouvelles qu’il n’y paraît à première vue ". (Lichtenberg, Die Philosophie F. Nietzsche).

La philosophie de Nietzsche n’est pas si neuve qu’il peut le sembler, d’abord mais elle serait originale au point qu’il faille, pour l’expliquer, se référer exclusivement à l’individualité complexe de son auteur : dans ce cas, comment expliquer qu’en un temps très court elle ait acquis une telle quantité d’adeptes ; comment expliquer que " les idées de Nietzsche – selon l’expression de A. Riehl – soient devenues pour beaucoup de gens un article de foi ? " On ne le peut qu’en constatant que le sol sur lequel a grandi la philosophie de Nietzsche n’est en rien exceptionnel. Il existe de larges groupes de gens que des conditions de caractère social mettent dans une situation telle que la philosophie de Nietzsche lui correspond comme nulle autre.

Dans notre littérature on a déjà plusieurs fois comparé Gorky et Nietzsche. A première vue une telle comparaison peut sembler étrange qu’y a-t-il de commun entre le chantre des humiliés et des offensés, des derniers des derniers, et l’apôtre du " surhomme " ? Bien entendu la différence est énorme, mais les rapports entre eux sont beaucoup plus étroits qu’une première impression le laisserait paraître.

Les héros de Gorky [12], selon les intentions et, en partie, la façon dont leur créateur se les représente, ne sont pas du tout des humiliés et des offensés, ce ne sont pas les derniers des derniers ; ce sont des " surhommes " à leur manière. Beaucoup, et même la majorité, se trouvent dans une situation qui ne résulte absolument pas de leur défaite dans la cruelle lutte sociale qui les aurait fait sortir du droit chemin ; non, c’est un choix qu’ils ont fait, de ne pas s’accommoder de l’étroitesse de l’organisation sociale contemporaine, avec son droit, sa morale, etc., et de " sortir " de la société... C’est ce que dit Gorky. Nous lui laissons la responsabilité de ses propos : nous restons à ce sujet sur nos propres positions. En tant qu’idéologue d’un groupe social déterminé, Gorky ne pouvait pas raisonner autrement. Chaque individu, attaché par des liens matériels et idéologiques à un certain groupe ne peut pas le considérer comme un ramassis de rebuts quelconques. Il doit trouver un sens à l’existence de son groupe. Les couches sociales fondamentales peuvent facilement trouver un tel sens, en s’appuyant sur une analyse, même superficielle, de la société contemporaine avec son système de production, dont ces couches sont les éléments indispensables. Tels sont la bourgeoisie, le prolétariat, les " travailleurs intellectuels "... Ce n’est pas la même chose avec le groupe dont Gorky se fait le chantre et l’apologiste. Vivant hors de la société, quoique sur son territoire et à ses frais, il cherche la justification de son existence dans la conscience de sa supériorité sur les membres de la société organisée. Il apparaît que les cadres de cette société sont trop étroits pour ceux de ses membres dotés par la nature de particularités exceptionnelles, plus ou moins " surhumaines ". Ici nous avons affaire au même genre de protestation contre les normes de la société contemporaine que sous la plume de Nietzsche [13].

Nietzsche est devenu l’idéologue d’un groupe vivant comme un rapace aux frais de la société, mais dans des conditions plus heureuses que le misérable lumpenprolétariat : il s’agit du parasitenproletariat de calibre supérieur. La composition de ce groupe dans la société contemporaine est assez hétéroclite et floue, étant donné l’extrême complexité et la diversité des relations à l’intérieur du régime bourgeois ; mais ce qui lie tous les membres de cet ordre disparate de chevalerie bourgeoise c’est le pillage déclaré, et en même temps (en règle générale, bien sûr) impuni, à une échelle immense, des biens de consommation, sans aucune (nous tenons à le souligner) participation méthodique au processus organisé de production et de distribution. Comme représentant du type qu’on vient d’esquisser on peut citer le héros du roman de Zola, L’Argent : Saccar. Evidemment tous les aventuriers de la finance n’ont pas l’ampleur du célèbre héros de Zola. On a un exemple de moindre taille dans le héros du (mauvais) roman de Stratz : Le Dernier Choix (la traduction est disponible dans le Recueil de Rousskoïé bogatstvo) : il s’agit d’un comte qui joue en bourse.

Mais la différence est quantitative et non qualitative. En général il y a tant de personnages de ce genre dans la littérature contemporaine qu’on ne sait auquel s’arrêter.

Il ne faudrait pas déduire de tout cela qu’être nietzschéen signifie être un aventurier de la finance, un boursicotier rapace... En effet la bourgeoisie a répandu son individualisme au-delà des limites de sa propre classe, grâce aux liens organiques de sa société ; on peut en dire autant, relativement aux nombreux éléments idéologiques du groupe du parasitenprolétariat, dont tous les membres sont d’ailleurs loin d’être des nietzschéens conscients : la majorité d’entre eux ignore même probablement l’existence de Nietzsche, dans la mesure où ils concentrent leur activité intellectuelle dans une tout autre sphère ; par contre chacun d’eux est nietzschéen " malgré lui-même ".

Cependant il n’est pas superflu de remarquer que certains idéologues purement bourgeois ont développé plus d’une fois des idées à maints égards proches de celles de Nietzsche. Par exemple l’un des penseurs bourgeois les plus connus, l’oracle anglais Herbert Spencer [14]. On trouve chez lui le même mépris des masses, quoiqu’avec plus de modération, le même éloge de la lutte comme instrument du progrès, la même protestation contre l’aide aux faibles qui périssent prétendument par leur propre faute. " Au lieu, déclare l’encyclopédiste bourgeois, de soutenir la loi fondamentale de la coopération volontaire (! !) consistant en ce que chaque avantage doit être payé avec de l’argent acquis par le travail productif, ils (on comprend qui se cache derrière ce "ils". L. T.) s’efforcent de rendre une grande quantité de biens accessibles à tous, indépendamment des efforts fournis pour leur création : les bibliothèques gratuites, les musées gratuits, etc., doivent être organisés aux frais de la société, et rendus accessibles à chacun, indépendamment de ses mérites ; ainsi les économies des plus méritants doivent être prises par les percepteurs, et servent à procurer certaines commodités aux moins méritants, qui n’économisent rien. " Rappelons ici la polémique qui opposa N. K. Mikhaïlovsky à Spencer, parce que celui-ci ne voulait pas qu’on trouvât des remèdes aux conséquences naturelles de la misère et du vice ; comparons cette exigence avec les discours déjà connus de Zarathoustra : " la terre est pleine de gens à qui il est indispensable de prêcher la mort " : il ne faut pas les aider, mais les pousser pour qu’ils tombent plus vite – " das ist gross, das gehört zur Grasse "... (c’est sublime...).

Mais ici s’arrête la ressemblance – d’ailleurs très formelle – entre Spencer et Nietzsche ; Spencer ne veut pas du tout dispenser la bourgeoisie du " travail " de domination, et le type supérieur n’est pas pour lui l’homme à l’instinct débridé. La bourgeoisie, en tant que classe, et le régime capitaliste, en tant que système historique déterminé de rapports de production, sont deux phénomènes impensables l’un sans l’autre, et Spencer, en tant que représentant idéologique de la bourgeoisie ne peut contester les normes bourgeoises. S’il proteste contre l’aide aux faibles, c’est justement parce qu’il craint le déferlement de ces faibles sur l’ordre social si cher à son cœur et, par la même occasion, sur son cabinet bien calme et bien protégé par l’ordre en question.

Ce n’est pas le cas de Nietzsche. Il conteste toutes les normes de la société qui l’entoure. Toutes les vertus des philistins lui répugnent. Pour lui le bourgeois moyen est un être vil, au même titre que le prolétaire. Et c’est bien naturel. Le bourgeois moyen est un individu raisonnable. Il grignote lentement, suivant le système, en s’accompagnant de sentences émues, de sermons moralisateurs, de déclarations sentimentales sur la mission sacrée du labeur. Un " surhomme " bourgeois n’agit pas du tout comme cela : il accapare, il prend, il pille, il mange tout jusqu’à l’os, et il ajoute : " pas de commentaires [15] ".

La bourgeoisie " saine " ne pouvait répondre à l’attitude négative de Nietzsche que par une attitude également négative. Nous savons par exemple ce que pensait de Nietzsche l’un des représentants du juste milieu bourgeois, plus grandiloquent que profond, envieux jusqu’à la mesquinerie et ne lésinant pas sur les expressions énergiques : Max Nordau [16], qui écrit : " Il fallait un théoricien pour l’ordurerie systématique et les rebuts de l’humanité exaltés par le talent littéraire et artistique des parnassiens et des esthètes, à la synthèse du crime, de l’impureté et de la maladie portés aux nues par le démonisme et la décadence, pour la création d’un homme libre et entier à la Ibsen ; et c’est Nietzsche qui, le premier, a proclamé cette théorie, ou ce qui prétend l’être " (Entartung). Nordau n’est pas plus indulgent pour les disciples de Nietzsche : selon ses propres paroles : " La déclaration de principe selon laquelle rien n’est vrai et tout est permis, émanant d’un savant moralement aliéné, a rencontré un écho immense auprès de ceux qui, par suite d’une déficience morale, nourrissent en eux une haine viscérale pour l’ordre social. En particulier, devant cette grande découverte, le prolétariat intellectuel des grandes villes exulte " (id.).

Ceux qui construisent leur prospérité sur la chute d’un ministère, la mort d’un homme d’Etat, un chantage journalistique, un scandale politique, ou bien sur la " baisse " et la " hausse ", ne peuvent naturellement pas s’attendre à être encouragés par les petits-bourgeois vertueux et leurs idéologues. Dans le roman déjà cité de Rudolf Stratz on retrouve la même attitude que celle de Nordau envers Nietzsche, de la part des héros " vertueux " (et, par leur intermédiaire, de la part aussi de l’auteur, qui est lui-même un philistin) envers le comte cynique qui, se fondant apparemment sur l’idée que " rien n’est vrai, et tout est permis ", considère les berlinois comme des moutons destinés à être noblement tondus. Et l’attitude des vertueux berlinois envers le comte non vertueux est bien compréhensible.

La société bourgeoise a élaboré certains codes moraux, juridiques, etc., qu’il est strictement interdit de transgresser. Comme elle exploite les autres, la bourgeoisie n’aime pas qu’on l’exploite. Or les Uebermensch de toutes sortes s’engraissent en puisant dans les fonds bourgeois de la " plus-value ", c’est-à-dire qu’ils vivent directement aux frais de la bourgeoisie. Il va sans dire qu’ils ne peuvent se placer sous la protection de ses lois éthiques. Ils doivent par conséquent créer des principes moraux correspondant à leur mode de vie. Jusqu’à ces derniers temps cette catégorie supérieure du parasitenprolétariat n’avait aucune idéologie globale qui lui donnât la possibilité de justifier les motifs " supérieurs " de ses agissements rapaces. La justification de la rapacité de la bourgeoisie industrielle " saine " par ses mérites historiques, ses capacités organisatrices, sans lesquelles il paraît que la production sociale ne pourrait exister, cette justification, évidemment, ne convient pas aux chevaliers de la " hausse " et de la " baisse " [17], aux aventuriers de la finance, aux " surhommes " de la bourse, aux maîtres chanteurs sans scrupule (17) de la politique et du journalisme, en un mot, à toute cette masse du prolétariat parasite, qui s’est solidement enté sur l’organisme bourgeois et qui d’une façon ou d’une autre vit – et en général ne vit pas mal – aux frais de la société, sans rien lui donner en échange. Des représentants individuels de ce groupe se contentaient de la conscience de leur supériorité intellectuelle sur ceux qui se laissaient (et comment faire autrement !) " tondre ". Mais le groupe, assez nombreux et toujours croissant, avait besoin d’une théorie qui lui donnât le droit d’ " oser ", étant donné sa supériorité intellectuelle. Il attendait son apôtre et il l’a trouvé en la personne de Nietzsche. Avec sa sincérité cynique, son grand talent, Nietzsche lui est apparu, proclamant sa " morale des maîtres ", son " tout est permis ", et il l’a porté aux nues...

La vie d’un être noble, enseigne Nietzsche, est une chaîne ininterrompue d’aventures pleines de danger ; le bonheur ne l’intéresse pas, mais l’excitation procurée par le jeu.

Se trouvant dans une situation sociale instable, un jour au sommet de la prospérité, le lendemain risquant d’être au banc des accusés, cette lie pernicieuse de la société bourgeoise devait trouver les idées de Nietzsche sur une vie pleine d’aventures plus appropriées que celles d’un quelconque philistin comme Smiles [18] qui prêche une modération et une ponctualité petites-bourgeoises vulgaires, qui rend toute existence plate (Smiles est le parrain de la petite bourgeoisie qui commence à se développer) ; cette lie rejetait aussi les thèses de la morale utilitaire, fondée sur des principes sévèrement rationalistes, prêchée par Bentham [19], le chef spirituel de la grande bourgeoisie britannique " saine ", scrupuleuse et honnête (dans le sens commercial du terme, évidemment).

D’après Nietzsche, l’humanité s’élèvera jusqu’au " surhomme " quand elle aura rejeté la hiérarchie actuelle des valeurs et, avant tout, l’idéal chrétien et démocratique. La société bourgeoise, au moins en parole, respecte les principes démocratiques. Nietzsche, lui, comme nous l’avons vu, partage la morale en morale des maîtres et morale des esclaves. Au mot de démocratie l’écume lui vient aux lèvres. Il est plein de haine pour le démocrate entiché d’égalitarisme qui s’efforce de transformer l’homme en un méprisable animal de troupeau.

Cela irait mal pour le " surhomme " si les esclaves se pénétraient de sa morale, si la société trouvait indigne d’elle de se consacrer au lent travail productif. Voilà pourquoi, avec le cynisme déclaré qui le caractérise, Nietzsche écrit dans une lettre que la popularisation de sa doctrine " présente vraisemblablement un risque (Wagnis) considérable non pas à cause de celui qui ose agir suivant cette doctrine, mais à cause de ceux à qui il en parle [...] ". " Ma consolation – ajoute-t-il – c’est qu’il n’existe pas d’oreilles pour mes grandes nouveautés "... Du danger indiqué découle le caractère double de la morale. Pour l’humanité entière, non seulement il n’est pas indispensable de suivre la " morale des maîtres ", qui est créée pour les maîtres et pour eux seulement ; mais au contraire on exige de tous les gens ordinaires, les non-surhommes, qu’ils " remplissent les tâches communes en rangs serrés ", dans l’obéissance à ceux qui sont nés pour une vie supérieure ; on exige d’eux qu’ils trouvent le bonheur dans l’accomplissement consciencieux des obligations qui leur sont imposées par l’existence de la société au sommet de laquelle se trouve le petit nombre des " surhommes ". Vouloir que les " castes " inférieures trouvent une satisfaction morale dans le service des grands, ce n’est pas non plus, comme vous voyez, particulièrement neuf...

Bien qu’il arrive fréquemment que les membres de ce brillant prolétariat bourgeois se trouvent aux leviers de direction, en général ils ne détiennent pas le pouvoir gouvernemental dans la société bourgeoise. Il leur tombe entre les mains à la suite d’une sorte de malentendu social, et leur gouvernement s’achève par toutes sortes d’énormes scandales dans le genre Panama [20], affaire Dreyfus [21], affaire Crispi [22], etc. Ils ne s’emparent pas du pouvoir dans le but de réorganiser la société, qu’ils considèrent de façon si négative, mais simplement pour jouir des richesses publiques. Sur ce point aussi, par conséquent, Nietzsche pouvait trouver un écho favorable de leur part, puisqu’il dispense ses " surhommes " du travail de direction. Dans son attitude négative, le lumpenprolétariat, ce prolétariat parasite de rang inférieur, est plus conséquent que les admirateurs de Nietzsche : il rejette la société tout entière ; il trouve trop étroits non seulement les cadres spirituels de cette société, mais aussi son organisation matérielle. Les nietzschéens, eux, tout en rejetant les normes juridiques et éthiques de la société bourgeoise, n’ont rien contre les commodités créées par son organisation matérielle. Le " surhomme " de Nietzsche n’est pas du tout disposé à renoncer aux connaissances, aux avantages et aux forces nouvelles que l’humanité a acquis par un chemin si long et si difficile. Au contraire, toute la conception du monde (si on peut utiliser ici ce terme), toute la philosophie des nietzschéens sert à justifier la jouissance de biens à la création desquels ils ne prennent aucune part, même formelle.

Nietzsche veut que chacun, avant d’être rangé au nombre des élus, réponde à la question : " Est-il de ceux qui ont le droit d’échapper au joug ? " ; mais il n’a pas donné, et il ne peut pas donner de critère objectif pour répondre à cette question ; la réponse positive ou négative dépend donc de la bonne volonté et des talents de rapaces de chacun.

Le système philosophique de Nietzsche, comme il l’a d’ailleurs indiqué lui-même plus d’une fois, contient pas mal de contradictions. Voici quelques exemples : Nietzsche rejette la morale contemporaine, mais principalement ses aspects (la pitié, la charité, etc.) qui règlent (seulement dans la forme, il est vrai) l’attitude envers ceux " dont le nombre est trop grand ". Par contre, les " surhommes ", dans leurs rapports réciproques, ne sont pas du tout libérés des objections morales. Quand Nietzsche parle de ces rapports il ne craint pas d’employer des mots comme bien et mal, et même respect, reconnaissance.

Bien qu’il ait " réexaminé toutes les valeurs ", ce révolutionnaire de la morale considère avec beaucoup de respect les traditions des classes privilégiées et s’enorgueillit de descendre des comtes Nietzky, ce qui est d’ailleurs extrêmement douteux. Ce fameux individualiste nourrit les sympathies les plus tendres pour l’Ancien Régime français dans lequel " l’individualité " tenait très peu de place. L’aristocrate, le représentant de sympathies sociales bien précises a toujours dominé en lui l’individualiste, l’annonciateur d’un principe abstrait.

Etant donné ces contradictions il n’est pas étonnant que des éléments sociaux parfaitement opposés puissent se placer sous le drapeau du nietzschéisme. Un aventurier " oubliant sa parenté " peut ignorer totalement le respect nietzschéen des traditions aristocratiques. Il ne prend chez Nietzsche que ce qui correspond à sa position sociale. La devise " il n’y a rien de vrai, tout est permis " correspond à ses habitudes de vie comme nulle autre. En extrayant des œuvres de Nietzsche tout ce qui peut servir au développement de la pensée contenue dans cet aphorisme on peut construire une théorie assez bien tournée, tout à fait apte à servir de feuille de vigne aux vaillants héros du Panama français ou... de l’épopée patriotique de Mamontov [23], [24]. Mais à côté de ce groupe qui est entièrement le produit de la société bourgeoise, nous trouvons parmi les admirateurs de Nietzsche des représentants d’une formation historique tout à fait différente, des gens dont la généalogie remonte loin. Nous ne parlons pas de ceux qui, comme le comte du roman de Chtratz, ont échangé leurs vertus chevaleresques contre des actions en bourse. Ces gens n’appartiennent déjà plus à leur ordre. Déclassés, ils sont aussi peu attentifs aux " nobles traditions " que n’importe quel plébéien. Nous parlons de ceux qui s’accrochent encore aux débris de ce qui jadis les plaçait au haut de l’échelle sociale. Chassés du circuit social, ils ont des raisons particulières d’être mécontents du système social contemporain, de ses tendances démocratiques, de ses lois, de sa morale.

Prenons par exemple Gabriele D’Annunzio [25], le célèbre poète italien, aristocrate par la naissance et les convictions. Nous ne savons pas s’il se dit nietzschéen, et d’une façon générale, dans quelle mesure les idées de Nietzsche sont à l’origine de ses conceptions. Mais pour nous cela n’a pas d’importance. Ce qui compte ici, c’est que les idées ultra-aristocratiques de D’Annunzio sont presque identiques à beaucoup de celles de Nietzsche. Comme il sied à un aristocrate D’Annunzio hait la démocratie bourgeoise. " A Rome, dit-il, j’ai vu les profanations les plus éhontées qui aient jamais flétri les choses sacrées. Comme un cloaque qui se déverserait, un flot de basses convoitises envahit les places et les rues.... Le roi, descendant d’une lignée de guerriers, donne un exemple de patience étonnante dans l’accomplissement des obligations vulgaires et ennuyeuses que lui prescrit un décret plébéien. " S’adressant aux poètes, il leur dit : " En quoi consiste désormais notre vocation ? Devons-nous faire l’éloge du suffrage universel, devons-nous hâter par nos hexamètres poussifs, la chute de la royauté, l’avènement de la république, la prise du pouvoir par la populace ? Pour une somme raisonnable nous pourrions convaincre les incrédules que dans la foule se trouve la force, le droit, la sagesse, et la lumière. " Mais telle n’est pas la tâche des poètes : " Marquez les fronts insensés de ceux qui ont voulu rendre toutes les têtes humaines uniformes, pareilles aux clous sous le marteau de l’ouvrier. Que votre rire irrépressible monte jusqu’aux cieux quand vous entendez dans les réunions le tintamarre des palefreniers du gros animal qu’est la populace. " S’adressant aux épaves impuissantes du passé aristocratique, il s’écrie : " Attendez et préparez l’événement. Il ne vous sera pas difficile de ramener le troupeau à l’obéissance. Les gens du peuple resteront toujours des esclaves, parce qu’il y a en eux le besoin inné de tendre les mains vers les chaînes. Souvenez-vous que l’âme de la foule ne connaît que la panique. "

Entièrement en accord avec Nietzsche, D’Annunzio juge indispensable le réexamen de toutes les valeurs, qui doit advenir : " Le nouveau César romain, prédestiné à la domination par la nature, viendra anéantir ou bouleverser toutes les valeurs admises depuis trop longtemps par toutes sortes de doctrines. Il sera capable de construire et de lancer vers le futur ce pont idéal grâce auquel les espèces privilégiées pourront, enfin, franchir le précipice qui les sépare encore, en apparence, de la domination ardemment désirée. " Ce nouveau César romain sera un aristocrate " beau, fort, cruel, passionné " (les citations de D’Annunzio sont faites d’après l’article de Oukraïnka dans Jizn’, nº 7, 1900). Cet être aux allures de brute se distingue peu du " surhomme " de Nietzsche, " La brute aristocrate et rapace ", suivant l’expression de Nietzsche, donne sa valeur à l’homme et à chaque chose : ce qui lui est utile ou nuisible, est bon ou mauvais en soi...

Il est temps de conclure, d’autant plus que notre étude s’est prolongée au-delà de ce qui était prévu. Evidemment nous ne prétendions pas à une critique exhaustive des créations fantastiques de Frédéric Nietzsche, philosophe en poésie et poète en philosophie ; c’est impossible dans le cadre de quelques articles de journaux. Nous voulions seulement décrire à grands traits la base sociale qui s’est avérée capable d’engendrer le nietzschéisme, non en tant que système philosophique contenu dans un certain nombre de volumes et en grande partie explicable par les particularités individuelles de son auteur, mais en tant que courant social suscitant une attention particulière dans la mesure où il s’agit d’un courant actuel. Il nous a semblé d’autant plus indispensable de ramener le nietzschéisme des hauteurs littéraires et philosophiques aux bases purement terrestres des relations sociales, qu’une attitude strictement idéologique, conditionnée par des réactions subjectives de sympathie ou d’antipathie pour les thèses morales ou autres de Nietzsche, ne mène à rien de bon ; M. Andréiévitch [26] nous en a donné un exemple récent en se livrant à des accès d’hystérie dans les colonnes de Jizn’.

Ce ne serait certainement pas bien difficile de dénicher dans les volumineuses œuvres de Nietzsche quelques pages qui, hors de leur contexte, peuvent servir d’illustration à n’importe quelle thèse préconçue, particulièrement dans le cadre d’une exégèse globale, laquelle, soit dit entre parenthèses, serait très utile aux œuvres de Nietzsche, qui sont plus obscures que profondes. C’est ce qu’ont fait, par exemple, les anarchistes d’Europe occidentale, qui se sont dépêchés de considérer Nietzsche comme " un des leurs " et qui ont essuyé une cruelle rebuffade : le philosophe de la " morale des maîtres " les a repoussés avec toute la grossièreté dont il est capable. Il est clair pour le lecteur, nous l’espérons, que nous trouvons stérile une telle attitude, littéraire, textuelle, envers les œuvres riches en paradoxes du penseur allemand récemment disparu, dont les aphorismes sont souvent contradictoires et permettent en général des dizaines d’interprétations La voie naturelle vers un éclaircissement correct de la philosophie nietzschéenne, c’est l’analyse de la base sociale qui a donné naissance à ce produit complexe. Le présent travail s’est efforcé de procéder à une analyse de ce genre. La base s’est révélée pourrie, pernicieuse, empoisonnée. D’où cette conclusion : qu’on nous invite autant qu’on voudra à nous plonger en toute confiance dans le nietzschéisme, à respirer à pleins poumons dans les œuvres de Nietzsche le grand air du fier individualisme ; nous ne répondrons pas à ces appels, et, sans craindre les reproches faciles d’étroitesse et d’exclusivisme, nous répliquerons avec scepticisme comme le Nathanaël de l’évangile : " Peut-il y avoir quelque chose de bien à Nazareth ? "

Notes

[1] G. A. DJANCHIEV (1851-1900), historien et publiciste de tendance libérale, auteur d’un livre sur l’histoire des réformes au cours du règne d’Alexandre II : Iz epokhi velikikh reform (L’époque des grandes réformes). Jouissait d’une grande autorité dans les cercles libéraux. (N. E. R., note de l’éditeur russe)

[2] Vladimir Sergueïévitch Soloviov (1858-1900). Célèbre philosophe, publiciste et poète, dont les conceptions mystiques et religieuses s’unissaient à des idées libérales dans les questions sociales et politiques. La philosophie de Soloviov avait beaucoup de succès auprès des cercles de l’intelligentsia russe prérévolutionnaire orientés vers le mysticisme. (N. E. R.)

[3] Wilhelm LIEBKNECHT (1826-1900) : dirigeant de la classe ouvrière allemande, l’un des fondateurs du parti social-démocrate allemand. Liebknecht commença son activité politique en participant au mouvement révolutionnaire de 1848. Après quelques années d’émigration, au cours desquels il se rapprocha de Marx et d’Engels à Londres, et devint leur disciple, il revint en Allemagne en 1862 et fut, depuis ce moment jusqu’à sa mort, à la tête du mouvement ouvrier où il représentait, même avant la fondation du parti social-démocrate, le courant marxiste. En 1868, il fonda à Leipzig le journal Demokratisches Volksblatt qui devint en 1869 le Volksblatt. Le journal fut fermé en 1878. En 1890, Liebknecht dirigeait la rédaction de l’organe central du parti, publié sous le même titre à Berlin. En 1874, Liebknecht fut élu au Reichstag, où, avec quelques interruptions, il resta jusqu’à sa mort. Liebknecht appartenait à la tendance de gauche de la social-démocratie et y menait la lutte contre le révisionnisme. (N. E. R.)

[3 bis] Nicolas K. MIKHAïLOVSKY (1842-1904), publiciste, sociologue et critique, était l’un des théoriciens éminents du populisme. Il exerçait une grande influence sur la jeune génération dans les années quatre-vingt. Membre de la rédaction des Otietchestvennye Zapiski (Annales de la patrie), il publia Chto takoïe Progress (Qu’est-ce que le progrès ?), Gueroi i Tolpa (Les héros et la foule), Teoria Darvina i obchtchestvennaia Naouka (La Théorie de Darwin et la science sociale). A partir de 1892, il dirige la Rousskoïe Bogatstvo (La richesse russe). Membre de la " Narodnaïa Volia ". Dans les années quatre vingt-dix, il mène une lutte idéologique contre les marxistes. (N. E. R.)

[4] Moskovskye Viédomosti (Les Nouvelles de Moscou) : journal réactionnaire, fondé en 1756. De 1855 à 1860, puis de 1863 à 1887, dirigé par Katkov. Il se distinguait des autres journaux réactionnaires par une plus grande fermeté et une plus grande continuité. Ses slogans étaient : orthodoxie, autocratie, nationalisme. En 1905, il devint, sous la direction de Gringmut, l’organe officiel du parti monarchiste et mena une campagne systématique de persécution contre les ouvriers révolutionnaires, les intellectuels et les juifs, appelant ouvertement aux pogroms. (N. E. R.)

[5] Novoïé Vrémia (Les Temps nouveaux) : quotidien de Pétersbourg, publié depuis 1876. Son directeur-éditeur était Souvarine. Le journal avait une position conservatrice. De caractère officieux, il menait invariablement une campagne enragée contre la démocratie révolutionnaire, la classe ouvrière et l’intelligentsia radicale. La persécution des " allogènes ", en particulier des juifs, parcourt comme un fil rouge tous les principaux articles du journal. Organe des sommets bureaucratiques, Novoié Vrémia ne se distinguait pas par une particulière constance dans sa ligne politique et changeait habituellement de tendance suivant les remaniements ministériels. Pendant la révolution de 1905 il occupa une position d’extrême droite, exigeant des mesures sévères contre les révolutionnaires et les ouvriers grévistes. (N. E. R.)

[6] Vorwärts : organe central du parti social-démocrate allemand, publié à Berlin. Le journal fut fondé en 1883 sous le titre Berliner Volksblatt. Après l’abrogation de la loi sur les socialistes, parut depuis le 1B7 octobre 1890 sous son titre actuel, et sous la direction de Wilhelm Liebknecht. Publié par Liebknecht sous le même titre, à Leipzig, le journal du parti fut fermé en 1878. Depuis le début de la guerre de 1914, Vorwärts, comme la majorité de la presse social-démocrate, occupa une position social-patriote. Au moment de la scission entre la majorité et les indépendants, il resta aux mains de la majorité. Après la révolution d’Octobre en Russie il mena une campagne acharnée contre l’Union soviétique et le parti communiste. (N.E.R.)

[7] Rousskoié Bogatstvo (La richesse russe) : l’un des mensuels les plus influents avant la révolution. Commença à être publié sous ce titre en 1880. En 1891 il passa aux mains des anciens collaborateurs des Otiétchestvennye Zapiski (Les Annales de la patrie.) En 1895, Mikhaïlovsky devient l’inspirateur de la revue, et de ce moment Rousskoié Bogatstvo se fait l’organe du populisme. A partir de 1916 la revue sort sous le titre Rousskyé Zapiski (Les Annales russes). Cesse de paraître après la révolution d’Octobre. (N.E.R.)

[8] KILAND (1849-1888) : écrivain norvégien, représentant du courant réaliste dans la littérature norvégienne. (N.E.R.)

[9] Nous ne donnerons pas les références, étant donné que l’édition des Œuvres de Nietzsche en huit tomes, sans compter les volumes supplémentaires, est une artillerie trop lourde pour quelques articles de journaux. (N. de Trotsky)

[10] Aloïs RIEHL (1844-1924), philosophe allemand du courant néo-kantien, auteur du livre : Der Philosophie Kritizismus, (Théorie de la science et de la métaphysique du point de vue du criticisme philosophique). (N. E. R.)

[11] Littéralement : des gens à os noirs et des gens à os blancs.

[11 bis] (Satires en proses.) M. E. Saltykov CHTCHÉDRINE, Sotchiniénia, St Petersbourg, 1887, t. VII, p. 318. (N. E. R.)

[12] Cf. l’article " O romane voobchtché i o romane Troïé v tchastnosti " (Sur le roman en général et sur Les trois en particulier) in L. TROTSKY, Sotchiniénia, op. cit.

[13] Remarquons en passant un trait commun aux deux écrivains mentionnés : le respect qu’ils nourrissent pour les " hommes forts ". Gorky pardonne à un homme n’importe quel acte négatif (même d’après lui, Gorky) s’il résulte d’une force qui aspire à s’extérioriser. Il décrit si bien ces actes, et avec tant d’amour, que même le lecteur qui n’est pas du tout d’accord est prêt à se passionner pour la " force " et à l’admirer... Tels sont le vieux Gordiéiev et quelques autres héros de Gorky. (N. de Trotsky.)

[14] Herbert SPENCER (1820-1903), philosophe anglais, l’un des fondateurs de l’évolutionnisme. Son œuvre principale est A System of Synthetic Philosophy. Spencer part de l’opposition entre le connaissable et l’inconnaissable. L’analyse des " principes fondamentaux " de la connaissance conduit, selon Spencer, à la conclusion qu’au-delà des phénomènes connaissables il y a quelque chose d’absolument inaccessible à la connaissance et qui constitue par conséquent le domaine légitime de la foi (le principe ignorabimus). La tâche de la philosophie, en tant qu’elle est la plus haute généralisation de nos connaissances scientifiques, est d’établir la loi qui domine tous les phénomènes. Telle est selon Spencer la loi de l’évolution à laquelle sont soumis le monde tout entier et ses phénomènes. Etudiant des formes spéciales de l’évolution, Spencer s’arrête surtout sur le développement des organismes, des formes sociales et de la vie psychique. Dans ses thèses sociologiques Spencer utilise largement l’analogie entre la société et l’organisme, à partir de laquelle il construit son système sociologique. Dans le domaine de la politique sociale il était ennemi de toute intervention de l’Etat dans la vie de l’individu, et de ce point de vue il s’opposait au socialisme. Dans cette défense de la " liberté de la personne " contre le pouvoir " tyrannique " du collectif, tout comme dans son opposition dualiste entre la connaissance et la foi, s’exprimait clairement la nature de classe bourgeoise de ce penseur éminent. (N.E.R.)

[15] Il serait intéressant d’établir une analogie entre le seigneur du Moyen Age qui exploite systématiquement la paysannerie serve et le " surhomme " de la société féodale, le " Raubritter ", qui proclame : " Rauben ist keine Schande, das tun die besten im Lande " (" Piller n’est pas une honte, ce sont les meilleurs qui pillent "). N’est-ce pas "surhumain ". (N. de Trotsky)

[16] Max NORDAU (1849-1923), écrivain allemand, auteur d’œuvres attrayantes mais superficielles. Les plus célèbres sont Paradoxe (1885), Entartung (Dégénérescence) (1892-93), Die Konventionnellen Lügen der Kulturmenschaft (Le Mensonge conventionnel de la culture humaine) (1883). Dans la deuxième moitié de sa vie, il se fit l’un des partisans les plus fervents du sionisme. (N. E. R.)

[17] En français dans le texte.

[18] Samuel SMILES (1812-1904) : écrivain et moraliste anglais. Les titres mêmes de ses œuvres (L’Esprit d’initiative, Le Caractère, L’Economie, Le Devoir) donnent une idée de sa morale et de sa philosophie simplistes qu’il étayait par quantité d’exemples édifiants tirés de la vie d’inventeurs et d’industriels. (N.E.R.)

[19] Jérémie BENTHAM (1746-1832) : célèbre juriste et philosophe anglais, fondateur de l’utilitarisme, doctrine selon laquelle le principe de la morale est le plus grand bien pour le plus grand nombre de gens possible. Par la suite Bentham parvint à la conviction qu’en politique, ce qui correspondait à ce principe c’était uniquement la démocratie, comme forme de gouvernement fondée sur la volonté de la majorité. La monarchie, absolue ou même limitée, où la minorité dirige, apparaît comme une tyrannie contre-nature. (N. E. R.)

[20] Panama : procès causé par des abus dans la direction d’une société par actions créée pour la construction du canal de Panama qui devait relier l’Atlantique et le Pacifique. Pendant le procès on dévoila beaucoup de détails scandaleux compromettant toute une série de ministres, de députés et de représentants connus de la presse. " Panama " devint un nom commun pour désigner toutes sortes de gros scandales sociaux ou politiques. (N. E. R.)

[21] Affaire Dreyfus : l’officier français juif Alfred Dreyfus avait été accusé de haute trahison ; son procès était au centre de la vie politique française dans les années 1890. L’affaire Dreyfus surgit en 1894 sur la base d’une série de documents, dont il apparut par la suite que c’était des faux, et fut dirigée sur une fausse piste par des manœuvres conscientes du ministère de la guerre et de l’étatmajor général. En fait il s’agissait d’un prétexte pour une attaque des éléments monarchistes contre la république. Face à cela s’éleva une campagne en faveur de Dreyfus qui rassembla tous les cercles républicains, Jaurès et Zola en tête. Finalement Dreyfus fut disculpé. Le procès de Dreyfus dévoila nombre de crimes du côté des plus hautes autorités de la République et la monstrueuse vénalité de la presse bourgeoise et des parlementaires. (N. E. R.)

[22] CRISPI (1819-1901) homme politique italien, ministre ou président de 1887 à 1891 et de 1893 à 1896. A son nom sont liées des révélations scandaleuses sur les abus dans les grandes banques italiennes. (N. E. R.)

[23] Nous ignorons si M. Plevako a utilisé Nietzsche dans sa plaidoirie, comme M. Garnier l’a fait pour Gœthe dans ses dépositions. Si Mamontov est le Faust russe, que lui manque-t-il pour jouer le rôle d’un " surhomme " moscovite ? (N. de Trotsky).

[24] L’épopée de Mamontov : procès sur les détournements, les faux et autres abus dans la gestion de la société de chemin de fer Moscou-Yaroslav-Arkhangelsk, qui avait eu lieu au tribunal de Moscou du 23 au 31 juillet 1900. Le principal accusé était Savva Ivanovitch Mamontov, l’une des figures les plus importantes de la bourgeoisie industrielle russe. Pendant vingt ans Mamontov fut sans interruption le président de la société en question et en même temps le principal actionnaire de l’usine de mécanique Nevsky. Mamontov était accusé d’avoir détourné à son profit plus de dix millions de roubles. Tous les accusés furent acquittés. (N.E.R.)

[25] Gabriele D’ANNUNZIO (1864-1938).

[26] ANDRÉXÉVITCH : pseudonyme de Eugène Andréiévitch SOLOVIOV (1866-1905), critique littéraire du journal Jizn’ (La Vie) où il a publié des essais de littérature et sur le mouvement social des années 70-90.

Messages

  • 2009, par Robert Paris

    A propos de la philosophie du surhomme

    23 décembre 1900

    Ces derniers temps nos journaux et nos revues sont devenus incroyablement respectueux " en présence de la mort ". Il y a des littérateurs dont on n’exige et dont on n’attend rien, pour la simple raison qu’il n’y a rien à en tirer : il leur manque même une feuille de vigne pour cacher leur propre nudité quand c’est nécessaire. C’est avec raison que leurs louanges et leurs critiques peuvent nous laisser indifférents. Cadavres eux-mêmes, ils enterrent leurs cadavres

  • Bonjour,je me nomme zongo de bko,j’aimerais intervénir sur nietzsche.

  • En lisant l’article de nietzsche,j’ai su que j’etais entrais de l’aimer sans connaitre ses idées en profondeur. Mais en lisant niezsche j’ai l’impression que beaucoup de perssonne parle de lui sans l’avoir compris. L’allement nietzsche est il mort dans un asile.

    • "Critère pour le quotidien. - On se trompera rarement si l’on ramène les actions extrêmes à la vanité, les médiocres à la coutume et les petites à la peur."

      Voilà ce qu’écrit Nietzsche dans "Humain, trop humain".

      C’est la bassesse personnelle et la petitesse théorisée.

      Quand on ne veut pas de la beauté des idées, on disserte sur la noirceur du monde...

      Ensuite la crainte des autres :

      "La pleine nature. - Si nous nous trouvons tellement à l’aise dans la pleine nature, c’est qu’elle n’a pas d’opinion sur nous."

      On ne vit pas de ce que les autres pensent quand on croit à la pensée. Elle est trop grande pour se ramener à soi.

      Ne penser qu’à soi peut être à la mode et faire de cet écrivain un auteur à la mode. Ce n’en est pas moins exécrable.

    • Encore sur les pensées de Nietzsche :

      "Peu de gens sont faits pour l’indépendance, c’est le privilège des puissants."

      La puissance obsède les impuissants....

  • Et pour faire bonne mesure, cette déclaration de Nietzsche qui ne peut passer pour un appel aux opprimés :

    « Périssent les faibles et les ratés ! Et il faut même les y aider ! »

    • « Il y a chez l’homme comme dans les autres espèces animales, une surabondance de ratés, de malades, de dégénérés, d’infirmes nécessairement souffrants ; les cas réussis sont chez l’homme aussi toujours l’exception. »

      Nietzsche (Par delà le bien et le mal)

      Il y a chez Nietzsche des phrases ratées, d’autres dégénérées, certaines malades, nécessairement souffrantes car l’homme souffrait de n’avoir pas réussi au niveau où il s’estimait...

      Il était au-delà du bien et par-delà le mal !

  • Toujours obsédé par la puissance et la force, la supériorité et l’infériorité, cela s’appelle un complexe....

    « L’homme supérieur au plus haut degré serait celui qui aurait la plus grande diversité d’instincts et avec la force la plus grande qu’il pourrait encore supporter. »

    (Fragments posthumes de Nietzsche)

    Triste écrivain, celui qui croit qu’il y a des hommes supérieurs et d’autres... inférieurs donc !

  • bjr zongo j’èspère de tout coeur que tu lira ces reponses .moshe.A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    20 mai 2009 09:31, par MOSHE
    2009, par Robert Paris

    A propos de la philosophie du surhomme

    23 décembre 1900

    Ces derniers temps nos journaux et nos revues sont devenus incroyablement respectueux " en présence de la mort ". Il y a des littérateurs dont on n’exige et dont on n’attend rien, pour la simple raison qu’il n’y a rien à en tirer : il leur manque même une feuille de vigne pour cacher leur propre nudité quand c’est nécessaire. C’est avec raison que leurs louanges et leurs critiques peuvent nous laisser indifférents. Cadavres eux-mêmes, ils enterrent leurs cadavres

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    24 février 18:40, par zongo de bko
    Bonjour,je me nomme zongo de bko,j’aimerais intervénir sur nietzsche.

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    24 février 19:19, par zongo de bko
    En lisant l’article de nietzsche,j’ai su que j’etais entrais de l’aimer sans connaitre ses idées en profondeur. Mais en lisant niezsche j’ai l’impression que beaucoup de perssonne parle de lui sans l’avoir compris. L’allement nietzsche est il mort dans un asile.

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    25 février 11:59, par Robert Paris
    "Critère pour le quotidien. - On se trompera rarement si l’on ramène les actions extrêmes à la vanité, les médiocres à la coutume et les petites à la peur."

    Voilà ce qu’écrit Nietzsche dans "Humain, trop humain".

    C’est la bassesse personnelle et la petitesse théorisée.

    Quand on ne veut pas de la beauté des idées, on disserte sur la noirceur du monde...

    Ensuite la crainte des autres :

    "La pleine nature. - Si nous nous trouvons tellement à l’aise dans la pleine nature, c’est qu’elle n’a pas d’opinion sur nous."

    On ne vit pas de ce que les autres pensent quand on croit à la pensée. Elle est trop grande pour se ramener à soi.

    Ne penser qu’à soi peut être à la mode et faire de cet écrivain un auteur à la mode. Ce n’en est pas moins exécrable.

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    25 février 14:19, par Robert Paris
    Encore sur les pensées de Nietzsche :

    "Peu de gens sont faits pour l’indépendance, c’est le privilège des puissants."

    La puissance obsède les impuissants....

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    25 février 14:21, par Robert Paris
    Et pour faire bonne mesure, cette déclaration de Nietzsche qui ne peut passer pour un appel aux opprimés :

    « Périssent les faibles et les ratés ! Et il faut même les y aider ! »

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    25 février 14:27, par Robert Paris
    « Il y a chez l’homme comme dans les autres espèces animales, une surabondance de ratés, de malades, de dégénérés, d’infirmes nécessairement souffrants ; les cas réussis sont chez l’homme aussi toujours l’exception. »

    Nietzsche (Par delà le bien et le mal)

    Il y a chez Nietzsche des phrases ratées, d’autres dégénérées, certaines malades, nécessairement souffrantes car l’homme souffrait de n’avoir pas réussi au niveau où il s’estimait...

    Il était au-delà du bien et par-delà le mal !

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    A propos de la philosophie du surhomme, de Nietzsche
    25 février 15:07, par Robert Paris
    Toujours obsédé par la puissance et la force, la supériorité et l’infériorité, cela s’appelle un complexe....

    « L’homme supérieur au plus haut degré serait celui qui aurait la plus grande diversité d’instincts et avec la force la plus grande qu’il pourrait encore supporter. »

    (Fragments posthumes de Nietzsche)

    Triste écrivain, celui qui croit qu’il y a des hommes supérieurs et d’autres... inférieurs donc !

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  • « Nouvel esclavage », « anéantissement des races décadentes », « anéantissement de millions de ratés » : ces mots d’ordre effrayants, formulés de manière séduisante sous la plume de Nietzsche, ont longtemps été interprétés comme autant de métaphores. Aboli aux États-Unis en 1865, l’esclavage prend des formes nouvelles dans les colonies ; les indiens d’Amérique et les « indigènes » sont décimés ou exterminés ; l’eugénisme se répand et l’on exige la stérilisation forcée des « non aptes ». À partir de la Commune de Paris, Nietzsche prône des mesures énergiques contre les « esclaves » rebelles et appelle à en finir avec non seulement le socialisme, mais aussi la démocratie et l’idée même de progrès, à laquelle il oppose le mythe de l’ « éternel retour » : les esclaves doivent se résigner, leur condition doit rester intangible.

  • Encore une perle du collier de Nietzsche :

    "L’injustice ne se trouve jamais dans les droits inégaux, elle se trouve dans la prétention à des droits égaux."

    Ce chantre de l’inégalité, du surhomme, de la supériorité, de la noblesse, de l’exploitation quand ce n’est pas du racisme, de l’esclavagisme a curieusement droit de cité chez les philosophes.

    C’est de la noblesse de toilettes !

    • La réponse à la question : pourquoi est-il toujours à la mode chez les philosophes.

      parce qu’il voue un culte à l’individu contre la collectivité.

      Exemple, Nietzsche disait : « La démence est rare chez les individus, elle est la règle en revanche dans un groupe, un parti, un peuple, une équipe ».

      C’est totalement faux et la démence n’existe pas chez un peuple mais chez un individu oui. Sinon c’est une belle déclaration d’hostilité à la collectivité. Et un culte du moi exacerbé....

      Pourtant, sans cette collectivité sociale qu’il méprise, existerait-il ?

  • Toujours de Nietzsche :

    L’idéal aristocratique

    Type. - La vraie bonté, la noblesse, la grandeur d’âme qui jaillissent de l’abondance : qui ne donnent point pour prendre, - qui ne veulent point se relever par le bien qu’elles font ; - la prodigalité comme type de la vraie bonté, la richesse de personnalité comme condition première.

    La purification du goût ne peut être que la conséquence d’un renforcement du type. Notre société d’aujourd’hui ne fait que représenter la culture ; l’homme cultivé fait défaut. Il nous manque le grand homme synthétique, chez qui les forces dissemblables sont assujetties sous un même joug, afin de viser à un but unique. Ce que nous possédons, c’est l’homme multiple, le chaos le plus intéressant qu’il y ait peut-être jamais eu ; mais ce n’est point là le chaos qui précède la création du monde, c’est le chaos qui suit : l’homme faible et multiple. - Goethe est la plus belle expression de ce type - (il n’est nullement un Olympien !).

    Je voudrais que l’on commençât par s’estimer soi-même : tout le reste découle de là."

    • A rajouter l’infatuation de sa personne :

      "Il ne faut parler que lorsque l’on n’a pas le droit de se taire, et ne parler que de ce que l’on a surmonté — tout le reste est bavardage, « littérature », manque de discipline. Mes écrits ne parlent que de mes victoires : j’y suis, « moi », avec tout ce qui m’était contraire, ego ipsissimus, oui même, s’il m’est permis d’employer une expression plus fière, ego ipsissimum. On le devine : j’ai beaucoup de choses — au-dessous de moi... "

      Nietzsche dans "Humain, trop humain"

      "Tout homme d’élite aspire instinctivement à sa tour d’ivoire, à sa réclusion mystérieuse, où il est délivré de la masse, du vulgaire, du grand nombre, où il peut oublier la règle « homme », étant lui-même une exception à cette règle. (...) Qu’est-ce qui est noble ? Toute élévation du type "homme" a été jusqu’à présent l’oeuvre d’une société aristocratique - et il en sera toujours ainsi, l’oeuvre d’une société qui a foi en une longue succession dans la hiérarchie, en une accentuation des différences de valeur d’homme à homme, et qui a besoin de l’esclavage dans un sens ou dans un autre. Sans le sentiment de la distance, tel qu’il se dégage de la différence profonde des classes, du regard scrutateur et hautain que la classe dirigeante jette sans cesse sur ses sujets et ses instruments, sans l’habitude de commandement et d’obéissance, tout aussi constante dans cette caste, une habitude qui pousse à tenir à distance et à opprimer, cet autre sentiment plus mystérieux n’aurait pu se développer, ce désir toujours nouveau d’augmenter les distances dans l’intérieur de l’âme même, ce développement de conditions toujours plus hautes, plus rares, plus lointaines, plus larges, plus démesurées, bref l’élévation du type "homme", le perpétuel "art de se vaincre soi-même" pour employer une formule morale en un sens supra-moral. Sans doute, il ne faut pas se faire d’illusions humanitaires sur l’histoire des origines d’une société aristocratique (qui est la condition pour l’élévation du type "homme")."

      Nietzsche dans "Par delà le bien et le mal"

      Prenons un exemple de la "grandeur" de la bêtise de Nietzsche, un extrait de son pamphlet contre Socrate dans "Le crépuscule des dieux" :

      "Socrate appartenait, de par son origine, au plus bas peuple : Socrate était de la populace. On sait, on voit même encore combien il était laid. Mais la laideur, objection en soi, est presque une réfutation chez les Grecs. En fin de compte, Socrate était-il un Grec ? La laideur est assez souvent l’expression d’une évolution croisée, entravée par le croisement. Autrement elle apparaît comme le signe d’une évolution descendante. Les anthropologistes qui s’occupent de criminologie nous disent que le criminel type est laid : monstrum in fronte, monstrum in animo. Mais le criminel est un décadent. Socrate était-il un criminel type ? — Du moins cela ne serait pas contredit par ce fameux jugement physionomique qui choquait tous les amis de Socrate. En passant par Athènes, un étranger qui se connaissait en physionomie dit, en pleine figure, à Socrate qu’il était un monstre, qu’il cachait en lui tous les mauvais vices et désirs. Et Socrate répondit simplement : « Vous me connaissez, monsieur ! »
      [modifier] 4.

      Les dérèglements qu’il avoue et l’anarchie dans les instincts ne sont pas les seuls indices de la décadence * chez Socrate : c’en est un indice aussi que la superfétation du logique et cette méchanceté de rachitique qui le distingue. N’oublions pas non plus ces hallucinations de l’ouïe qui, sous le nom de « démon de Socrate ", ont reçu une interprétation religieuse. Tout en lui est exagéré, bouffon, caricatural ; tout est, ici en même temps, plein de cachettes, d’arrière-pensées, de souterrains. - Je tâche de comprendre de quelle idiosyncrasie a pu naître cette équation socratique raison - vertu - bonheur : cette équation la plus bizarre qu’il y ait, et qui a contre elle, en particulier tous les instincts des anciens Hellènes.
      [modifier] 5.

      Avec Socrate, le goût grec s’altère en faveur de la dialectique : que se passe-t-il exactement ? Avant tout c’est un goût distingué qui est vaincu ; avec la dialectique le peuple arrive à avoir le dessus. Avant Socrate, on écartait dans la bonne société les manières dialectiques : on les tenait pour de mauvaises manières, elles étaient compromettantes. On en détournait la jeunesse. Aussi se méfiait-on de tous ceux qui présentent leurs raisons de telle manière. Les choses honnêtes comme les honnêtes gens ne servent pas ainsi leurs principes avec les mains. Il est d’ailleurs indécent de se servir de ses cinq doigts. Ce qui a besoin d’être démontré pour être cru ne vaut pas grand-chose. Partout où l’autorité est encore de bon ton, partout où l’on ne « raisonne » pas, mais où l’on commande, le dialecticien est une sorte de polichinelle : on se rit de lui, on ne le prend pas au sérieux. — Socrate fut le polichinelle qui se fit prendre au sérieux : qu’arriva-t-il là au juste ? —"

      etc, etc, etc.....

      Faut-il en lire autant pour se persuader que Nietzsche est un personnage décadent, très symbolique d’une Europe noire qui va vers le fascisme. Certes, des gens louent son a-moralisme mais ils l’interprètent comme du courage face à la morale officielle alors que c’est juste le culte du petit-bourgeois arrivé au stade d’un certain Adolf....

    • Je corrige tout de suite une faute de frappe : le titre de l’ouvrage est "Crépuscule des idoles" et non "Crépuscule des dieux" (de Wagner).

      J’en profite pour rajouter la position de Nietzsche sur la révolution française :

      "Nous nous sommes révoltés contre la révolution"

      Sa position sur le "moi" :

      "Vous vous empressez auprès du prochain et vous exprimez cela par de belles paroles. Mais je vous le dis : votre amour du prochain, c’est votre mauvais amour de vous-mêmes. Vous ne savez pas vous supporter vous-mêmes et vous ne vous aimez pas assez : c’est pourquoi vous voudriez séduire votre prochain par votre amour et vous dorer de son erreur. Vous invitez un témoin quand vous voulez dire du bien de vous-mêmes ; et quand vous l’avez induit à bien penser de vous, c’est vous qui pensez bien de vous. L’un va chez le prochain parce qu’il se cherche, l’autre parce qu’il voudrait s’oublier. Votre mauvais amour de vous-mêmes fait de votre solitude une prison."

      Voilà ce que pense et que ressent Nietzsche sur lui-même....

      Il en découle culte du surhomme, culte de la noblesse, culte de la guerre comme ici dans le même ouvrage :

      "e vois beaucoup de soldats : puissé-je voir beaucoup de guerriers ! (...) Je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.

      La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain. Ce n’est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu’à présent les victimes."

      dans "Ainsi parlait Zarathoustra" (1ere partie)

    • Pour confirmer ce qui précède, Nietzsche s’explique lui-même dans se préface à "Ecce Homo" :

      "Le désaccord entre la grandeur de ma tâche et la petitesse de mes contem­porains s’est manifesté par ceci que l’on ne m’a ni entendu ni même vu. Je vis sur le crédit que je me suis fait à moi-même."

      C’est clair !

      On lui a attribué le courage de renverser des idoles...

      Il répond dans le même texte :

      "Renverser des idoles — j’appelle ainsi toute espèce d’idéal — c’est déjà bien plutôt mon affaire. "

      Il combat donc tout idéal. Tel est son nihilisme....

  • Comme certains anarchistes aiment à soutenir le "nihilisme" de Nietzsche, citons le définissant son nihilisme dans "La volonté de puissance" :

    "Cette tendance d’aller à sa perte se présente comme la volonté de se perdre, comme le choix instinctif de ce qui détruit nécessairement. Le symptôme de cette auto-destruction des déshérités c’est l’auto-vivisection, l’empoisonnement, l’enivrement, le romantisme, avant tout la contrainte instinctive à des actes, par quoi l’on fait des puissants ses ennemis mortels ( — se dressant pour ainsi dire ses propres bourreaux), la volonté de destruction comme volonté d’un instinct plus profond encore, l’instinct de l’auto-destruction, la volonté du néant.

    Le nihilisme est un symptôme : il indique que les déshérités n’ont plus de consolation ; qu’ils détruisent pour être détruits, que, détachés de la morale, ils n’ont plus de raison de " se résigner ", — qu’ils se placent sur le terrain du principe opposé, et qu’ils veulent aussi de la puissance de leur côté, en forçant les puissants à être leurs bourreaux."

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