"À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale."
Karl Marx, Critique de l’économie politique
Karl Marx arrêté par deux agents de police à Bruxelles
« Le communisme, abolition positive de la propriété privée (elle-même aliénation humaine de soi) et par conséquent appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme ; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire humain, retour conscient et qui s’est opéré en conservant toute la richesse du développement antérieur. Ce communisme en tant que naturalisme achevé = humanisme, en tant qu’humanisme achevé = naturalisme ; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Il est l’énigme résolue de l’histoire et il se connaît comme cette solution… L’essence humaine de la nature n’est là que pour l’homme social ; car c’est seulement dans la société que la nature est pour lui comme lien avec l’homme, comme existence de lui-même pour l’autre et de l’autre pour lui, ainsi que comme élément vital de la réalité humaine ; ce n’est que là qu’elle est pour lui le fondement de sa propre existence humaine. Ce West que là que son existence naturelle est pour lui son existence humaine et que la nature est devenue pour lui l’homme. Donc, la société est l’achèvement de l’unité essentielle de l’homme avec la nature, la vraie résurrection de la nature, le naturalisme accompli de l’homme et l’humanisme accompli de la nature. »
Marx, Manuscrits de 1844
Extraits de "L’idéologie allemande" de Karl Marx :
"Le communisme se distingue de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échanges antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédé jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance des individus unis [68]. De ce fait, son organisation est essentiellement économique, elle est la création matérielle des conditions de cette union ; elle fait des conditions existantes les conditions de l’union. L’état de choses que crée le communisme est précisément la base réelle qui rend impossible tout ce qui existe indépendamment des individus — dans la mesure toutefois où cet état de choses existant est purement et simplement un produit des relations antérieures des individus entre eux. Pratiquement, les communistes traitent donc les conditions créées par la production et le commerce avant eux comme des facteurs inorganiques, mais ils ne s’imaginent pas pour autant que le plan ou la raison d’être des générations antérieures ont été de leur fournir des matériaux, et ils ne croient pas davantage que ces conditions aient été inorganiques aux yeux de ceux qui les créaient. La différence entre l’individu personnel et l’individu contingent n’est pas une distinction du concept, mais un fait historique. Cette distinction a un sens différent à des époques différentes : par exemple, l’ordre [en tant que classe sociale] pour l’individu au XVIII° siècle, et la famille aussi plus ou moins. C’est une distinction que nous n’avons pas, nous, à faire pour chaque époque, mais que chaque époque fait elle-même parmi les différents éléments qu’elle trouve à son arrivée, et cela non pas d’après un concept, mais sous la pression des conflits matériels de la vie. Ce qui apparaît comme contingent à l’époque postérieure, par opposition à l’époque antérieure, même parmi les éléments hérités de cette époque antérieure, est un mode d’échanges qui correspondait à un développement déterminé des forces productives. Le rapport entre forces productives et forme d’échanges est le rapport entre le mode d’échanges et l’action ou l’activité des individus. (La forme fondamentale de cette activité est naturellement la forme matérielle dont dépend toute autre forme intellectuelle, politique, religieuse, etc. Bien entendu, la forme différente que prend la vie matérielle est chaque fois dépendante des besoins déjà développés, et la production de ces besoins, tout comme leur satisfaction, est elle-même un processus historique que nous ne trouverons jamais chez un mouton ou chez un chien (argument capital de Stirner adversus hominem [69], à faire dresser les cheveux sur la tête) bien que moutons et chiens, sous leur forme actuelle, soient, mais malgré eux, des produits d’un processus historique.) Tant que la contradiction n’est pas apparue, les conditions dans lesquelles les individus entrent en relations entre eux sont des conditions inhérentes à leur individualité ; elles ne leur sont nullement extérieures et seules, elles permettent à ces individus déterminés et existant dans des conditions déterminées, de produire leur vie matérielle et tout ce qui en découle ; ce sont donc des conditions de leur affirmation active de soi et elles sont produites par cette affirmation de soi [70]. En conséquence, tant que la contradiction n’est pas encore intervenue, les conditions déterminées, dans lesquelles les individus produisent, correspondent donc à leur limitation effective, à leur existence bornée, dont le caractère limité ne se révèle qu’avec l’apparition de la contradiction et existe, de ce fait, pour la génération postérieure. Alors, cette condition apparaît comme une entrave accidentelle, alors on attribue aussi à l’époque antérieure la conscience qu’elle était une entrave.
Ces différentes conditions, qui apparaissent d’abord comme conditions de la manifestation de soi, et plus tard comme entraves de celle-ci, forment dans toute l’évolution historique une suite cohérente de modes d’échanges dont le lien consiste dans le fait qu’on remplace la forme d’échanges antérieure, devenue une entrave, par une nouvelle forme qui correspond aux forces productives plus développées, et, par là même, au mode plus perfectionné de l’activité des individus, forme qui à son tour devient une entrave et se trouve alors remplacée par une autre. Étant donné qu’à chaque stade ces conditions correspondent au développement simultané des forces productives, leur histoire est du même coup l’histoire des forces productives qui se développent et sont reprises par chaque génération nouvelle et elle est de ce fait l’histoire du développement des forces des individus eux-mêmes.
Ce développement se produisant naturellement, c’est-à-dire n’étant pas subordonné à un plan d’ensemble établi par des individus associés librement, il part de localités différentes, de tribus, de nations, de branches de travail différentes, etc., dont chacune se développe d’abord indépendamment des autres et n’entre que peu à peu en liaison avec les autres. De plus, il ne procède que très lentement ; les différents stades et intérêts ne sont jamais complètement dépassés, mais seulement subordonnés à l’intérêt qui triomphe et ils se traînent encore pendant des siècles à ses côtés. Il en résulte que, à l’intérieur de la même nation, les individus ont des développements tout à fait différents, même abstraction faite de leurs conditions de fortune, et il s’ensuit également qu’un intérêt antérieur, dont le mode d’échange particulier de relations est déjà supplanté par un autre correspondant à un intérêt postérieur, reste longtemps encore en possession d’une force traditionnelle dans la communauté apparente et qui est devenue autonome en face des individus (État, droit) ; seule une révolution est, en dernière instance, capable de briser ce système. C’est ce qui explique également pourquoi, lorsqu’il s’agit de points singuliers, qui permettent une synthèse plus générale, la conscience peut sembler parfois en avance sur les rapports empiriques contemporains, si bien que dans les luttes d’une période postérieure, on peut s’appuyer sur des théoriciens antérieurs comme sur une autorité.
Par contre, dans les pays comme l’Amérique du Nord, qui débutent d’emblée dans une période historique déjà développée, le développement se fait avec rapidité. De tels pays n’ont pas d’autre condition naturelle préalable que les individus qui s’y établissent et qui y furent amenés par les modes d’échanges des vieux pays, qui ne correspondent pas à leurs besoins. Ces pays commencent donc avec les individus les plus évolués du vieux monde, et par suite avec la forme de relations la plus développée correspondant à ces individus, avant même que ce système d’échanges ait pu s’imposer dans les vieux pays [71]. C’est le cas de toutes les colonies dans la mesure où elles ne sont pas de simples bases militaires ou commerciales. Carthage, les colonies grecques et l’Islande aux XI° et XII° siècles, en fournissent des exemples. Un cas analogue se présente dans la conquête, lorsqu’on apporte tout fait dans le pays conquis le mode d’échanges qui s’est développé sur un autre sol ; dans son pays d’origine, cette forme était encore grevée par les intérêts et les conditions de vie des époques précédentes, mais ici, au contraire, elle peut et doit s’implanter totalement et sans entraves, ne fût-ce que pour assurer une puissance durable au conquérant. (L’Angleterre et Naples après la conquête normande, où elles connurent la forme la plus accomplie de l’organisation féodale.)
Donc, selon notre conception, tous les conflits de l’histoire ont leur origine dans la contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges. Il n’est du reste pas nécessaire que cette contradiction soit poussée à l’extrême dans un pays pour provoquer des conflits dans ce pays même. La concurrence avec des pays dont l’industrie est plus développée, concurrence provoquée par l’extension du commerce international, suffit à engendrer une contradiction de ce genre, même dans les pays dont l’industrie est moins développée (par exemple, le prolétariat latent en Allemagne dont la concurrence de l’industrie anglaise provoque l’apparition).
Cette contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges qui, comme nous l’avons déjà vu, s’est produite plusieurs fois déjà dans l’histoire jusqu’à nos jours, sans toutefois en compromettre la base fondamentale, a dû chaque fois éclater dans une révolution, prenant en même temps diverses formes accessoires, telles que totalité des conflits, heurts de différentes classes, contradictions de la conscience, lutte idéologique, etc., lutte politique, etc. D’un point de vue borné, on peut dès lors abstraire l’une de ces formes accessoires et la considérer comme la base de ces révolutions, chose d’autant plus facile que les individus dont partaient les révolutions se faisaient eux-mêmes des illusions sur leur propre activité, selon leur degré de culture et le stade de développement historique.
La transformation par la division du travail des puissances personnelles (rapports) en puissances objectives ne peut pas être abolie du fait que l’on s’extirpe du crâne cette représentation générale, mais uniquement si les individus soumettent à nouveau ces puissances objectives et abolissent la division du travail [72]. Ceci n’est pas possible sans la communauté. C’est seulement dans la commun [avec d’autres que chaque] individu a les moyens de développer ses facultés dans tous les sens ; c’est seulement dans la communauté que la liberté personnelle est donc possible. Dans les succédanés de communautés qu’on a eus jusqu’alors, dans l’État, etc., la liberté personnelle n’existait que pour les individus qui s’étaient développés dans les conditions de la classe dominante et seulement dans la mesure où ils étaient des individus de cette classe. La communauté apparente, que les individus avaient jusqu’alors constituée, prit toujours une existence indépendante vis-à-vis d’eux et, en même temps, du fait qu’elle représentait l’union d’une classe face à une autre, elle représentait non seulement une communauté tout à fait illusoire pour la classe dominée, mais aussi une nouvelle chaîne. Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément à leur association, grâce à cette association et en elle.
Il découle de tout le développement historique jusqu’à nos jours que les rapports collectifs dans lesquels entrent les individus d’une classe et qui étaient toujours conditionnés par leurs intérêts communs vis-à-vis d’un tiers, furent toujours une communauté qui englobait ces individus uniquement en tant qu’individus moyens, dans la mesure où ils vivaient dans les conditions d’existence de leur classe ; c’était donc là, en somme, des rapports auxquels ils participaient non pas en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une classe. Par contre, dans la communauté des prolétaires révolutionnaires qui mettent sous leur contrôle toutes leurs propres conditions d’existence et celles de tous les membres de la société, c’est l’inverse qui se produit : les individus y participent en tant qu’individus. Et, (bien entendu à condition que l’association des individus s’opère dans le cadre des forces productives qu’on suppose maintenant développées), c’est cette réunion qui met les conditions du libre développement des individus et de leur mouvement sous son contrôle, tandis qu’elles avaient été jusque là livrées au hasard et avaient adopté une existence autonome vis-à-vis des individus, précisément du fait de leur séparation en tant qu’individus et de leur union nécessaire, impliquée par la division du travail, mais devenue, du fait de leur séparation en tant qu’individus, un lien qui leur était étranger. L’association connue jusqu’ici n’était nullement l’union volontaire (que l’on nous représente par exemple dans Le Contrat social [73]), mais une union nécessaire, sur la base des conditions à l’intérieur desquelles les individus jouissaient de la contingence (comparer, par exemple, la formation de l’État de l’Amérique du Nord et les républiques de l’Amérique du Sud). Ce droit de pouvoir jouir en toute tranquillité de la contingence à l’intérieur de certaines conditions, c’est ce qu’on appelait jusqu’à présent la liberté personnelle. — Ces conditions d’existence ne sont naturellement que les forces productives et les modes d’échanges de chaque période.
Si l’on considère, du point de vue philosophique, le développement des individus dans les conditions d’existence commune des ordres et des classes qui se succèdent historiquement et dans les représentations générales qui leur sont imposées de ce fait, on peut, il est vrai, s’imaginer facilement que le genre ou l’homme se sont développés dans ces individus ou qu’ils ont développé l’homme ; vision imaginaire qui donne de rudes camouflets à l’histoire [74]. On peut alors comprendre ces différents ordres et différentes classes comme des spécifications de l’expression générale, comme des subdivisions du genre, comme des phases de développement de l’homme.
Cette subordination des individus à des classes déterminées ne peut être abolie tant qu’il ne s’est pas formé une classe qui n’a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la classe dominante.
Les individus sont toujours partis d’eux-mêmes, naturellement pas de l’individu "pur" au sens des idéologues, mais d’eux-mêmes dans le cadre de leurs conditions et de leurs rapports historiques donnés. Mais il apparaît au cours du développement historique, et précisément par l’indépendance qu’acquièrent les rapports sociaux, fruit inévitable de la division du travail, qu’il y a une différence entre la vie de chaque individu, dans la mesure où elle est personnelle, et sa vie dans la mesure où elle est subordonnée à une branche quelconque du travail et aux conditions inhérentes à cette branche. (Il ne faut pas entendre par là que le rentier ou le capitaliste, par exemple, cessent d’être des personnes ; mais leur personnalité est conditionnée par des rapports de classe tout à fait déterminés et cette différence n’apparaît que par opposition à une autre classe et ne leur apparaît à eux-mêmes que le jour où ils font banqueroute). Dans l’ordre (et plus encore dans la tribu), ce fait reste encore caché ; par exemple, un noble reste toujours un noble, un roturier reste toujours un roturier, abstraction faite de ses autres rapports ; c’est une qualité inséparable de son individualité. La différence entre l’individu personnel opposé à l’individu en sa qualité de membre d’une classe, la contingence des conditions d’existence pour l’individu n’apparaissent qu’avec la classe qui est elle-même un produit de la bourgeoisie. C’est seulement la concurrence et la lutte des individus entre eux qui engendrent et développent cette contingence en tant que telle. Par conséquent, dans la représentation, les individus sont plus libres sous la domination de la bourgeoisie qu’avant, parce que leurs conditions d’existence leur sont contingentes ; en réalité, ils sont naturellement moins libres parce qu’ils sont beaucoup plus subordonnés à une puissance objective. La différence avec l’ordre apparaît surtout dans l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat. Lorsque l’ordre des citoyens des villes, les corporations, etc. apparurent en face de la noblesse terrienne, leurs conditions d’existence, propriété mobilière et travail artisanal, qui avaient déjà existé de façon latente avant qu’ils ne fussent séparés de l’association féodale, apparurent comme une chose positive, que l’on fit valoir contre la propriété foncière féodale et qui, pour commencer, prit donc à son tour la forme féodale à sa manière. Sans doute les serfs fugitifs considéraient leur état de servitude précédent comme une chose contingente à leur personnalité : en cela, ils agissaient simplement comme le fait toute classe qui se libère d’une chaîne et, alors, ils ne se libéraient pas en tant que classe, mais isolément. De plus, ils ne sortaient pas du domaine de l’organisation par ordres, mais formèrent seulement un nouvel ordre et conservèrent leur mode de travail antérieur dans leur situation nouvelle et ils élaborèrent ce mode de travail en le libérant des liens du passé qui ne correspondaient déjà plus au point de développement qu’il avait atteint [75].
Chez les prolétaires, au contraire, leurs conditions de vie propre, le travail et, de ce fait, toutes les conditions d’existence de la société actuelle, sont devenues pour eux quelque chose de contingent, sur quoi les prolétaires isolés ne possèdent aucun contrôle et sur quoi aucune organisation sociale ne peut leur en donner. La contradiction entre la personnalité du prolétaire en particulier, et les conditions de vie qui lui sont imposées, c’est-à-dire le travail, lui apparaît à lui-même, d’autant plus qu’il a déjà été sacrifié dès sa prime jeunesse et qu’il n’aura jamais la chance d’arriver dans le cadre de sa classe aux conditions qui le feraient passer dans une autre classe. Donc, tandis que les serfs fugitifs ne voulaient que développer librement leurs conditions d’existence déjà établies et les faire valoir, mais ne parvenaient en dernière instance qu’au travail libre, les prolétaires, eux, doivent, s’ils veulent s’affirmer en valeur en tant que personne, abolir leur propre condition d’existence antérieure, laquelle est, en même temps, celle de toute la société jusqu’à nos jours, je veux dire, abolir le travail [76]. Ils se trouvent, de ce fait, en opposition directe avec la forme que les individus de la société ont jusqu’à présent choisie pour expression d’ensemble, c’est-à-dire en opposition avec l’État et il leur faut renverser cet État pour réaliser leur personnalité.
Notes
Texte en rouge : Passage biffé dans le manuscrit Texte en bleu : En français dans le texte.
[68] A la place de ce terme, Marx emploiera plus tard celui d’associés (association au lieu d’union, etc.).
[69] Contre l’homme.
[70] En face de cette phrase, Marx a écrit dans la colonne de droite : Production du mode d’échanges lui même.
[71] Énergie personnelle des individus de différentes nations Allemands et Américains énergie déjà du fait du croisement de races de là les Allemands véritables crétins en France, en Angleterre, etc., des peuples étrangers transplantés sur un sol déjà évolué et sur un sol entièrement neuf en Amérique, en Allemagne la population primitive n’a absolument pas bougé. (M. E.).
[72] En face de cette phrase, Engels a écrit dans la colonne de droite : (Feuerbach : Être et Essence).
[73] Il s’agit du célèbre ouvrage de Jean Jacques Rousseau.
[74] La phrase qu’on rencontre fréquemment chez saint Max Stirner : “chacun est tout ce qu’il est grâce à l’État” revient au fond à dire que le bourgeois n’est qu’un exemplaire de l’espèce bourgeoise, phrase qui présuppose que la classe des bourgeois doit avoir existé avant les individus qui la constituent *. * Cette phrase est mise entre crochets par Marx qui remarque dans la colonne de droite : PRÉ EXISTENCE de la classe chez les philosophes.
[75] N.B. N’oublions pas que la nécessité du servage, pour exister, et l’impossibilité de la grande exploitation, qui amena la répartition des allotements * entre les serfs, réduisirent très vite les obligations de ceux ci envers le seigneur féodal à une moyenne de livraisons en nature et de corvées ; cela donnait au serf la possibilité d’accumuler les biens meubles, favorisait son évasion de la propriété du seigneur et lui donnait la perspective de réussir à aller comme citoyen à la ville ; il en résulta aussi une hiérarchisation parmi les serfs, de sorte que ceux qui s’évadent sont déjà des demi bourgeois. Il saute donc aux yeux que les vilains qui connaissaient un métier avaient le maximum de chance d’acquérir des biens meubles. (M. E.). * Parcelles
[76] Plus tard Marx, précisant cette notion de travail préconisera l’abolition du seul travail salarié.
« QU’EST-CE QUE LE COMMUNISME ?
Le communisme est l’enseignement des conditions de la libération du prolétariat. »
Principes du communisme, Friedrich Engels, 1847
« Prolétaires et communistes
Quelle est la position des communistes par rapport à l’ensemble des prolétaires ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.
Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. L’abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du communisme…
Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.
La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise.
Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise. Or, la propriété privée d’aujourd’hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d’appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l’exploitation des uns par les autres.
En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée. Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation le travail d’autrui.
On a objecté encore qu’avec l’abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu’une paresse générale s’emparerait du monde. Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise, puisque, dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas. Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié du moment qu’il n’y a plus de capital.
Les accusations portées contre le monde communiste de production et d’appropriation des produits matériels l’ont été également contre la production et l’appropriation des oeuvres de l’esprit. De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.
La culture dont il déplore la perte n’est pour l’immense majorité qu’un dressage qui en fait des machines.
Mais inutile de nous chercher querelle, si c’est pour appliquer à l’abolition de la propriété bourgeoise l’étalon de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc. Vos idées résultent elles-mêmes du régime bourgeois de production et de propriété, comme votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d’existence de votre classe.
En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.
Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot.
Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qu’ils entraînent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation.
Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation.
Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. »
Le manifeste du Parti communiste
K. Marx - F. Engels
« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes.
Du reste, la masse d’ouvriers qui ne sont qu’ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d’existence, et non plus à titre temporaire.
Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l’action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu’en tant qu’existence "historique universelle". Existence historique universelle des individus, autrement dit, existence des individus directement liée à l’histoire universelle... »
Marx, L’Idéologie allemande
« Pour abolir l’idée de la propriété privée, le communisme pensé suffit entièrement. Pour abolir la propriété privée réelle, il faut une action communiste réelle. L’histoire l’apportera et ce mouvement, dont nous savons déjà en pensée qu’il s’abolit lui-même, passera dans la réalité par un processus très rude et très étendu. Mais nous devons considérer comme un progrès réel que, de prime abord, nous ayons acquis une conscience tant de la limitation que du but du mouvement historique, et une conscience qui le dépasse. -
Lorsque les ouvriers communistes se réunissent, c’est d’abord la doctrine, la propagande, etc., qui est leur but. Mais en même temps ils s’approprient par là un besoin nouveau, le besoin de la société, et ce qui semble être le moyen est devenu le but. On peut observer les plus brillants résultats de ce mouvement pratique, lorsque l’on voit réunis des ouvriers socialistes français. Fumer, boire, manger, etc., ne sont plus là comme des prétextes à réunion ou des moyens d’union. L’assemblée, l’association la conversation qui à son tour a la société pour but leur suffisent, la fraternité humaine n’est pas chez eux une phrase vide, mais une vérité, et la noblesse de l’humanité brille sur ces figures endurcies par le travail. »
Marx, manuscrits de 1844